Une fiscalité « verte » qui vire vers le vert pâle

Ce n’est pas trop tôt ! Après moult péripéties, une taxe carbone – qui n’en porte d’ailleurs pas du tout le nom - pourrait naitre grâce/à cause du projet de loi de finance 2016 qui sera présenté à la rentrée.

Lors de la conférence environnementale de septembre 2012, le gouvernement fraîchement nommé avait pourtant affiché son intention d'avancer vite. Car depuis l'abandon de tout projet de taxe carbone par la précédente majorité, suite à la censure par le Conseil constitutionnel, le 29 décembre 2009, de la proposition préparée par la commission Rocard, la France stagnait à sa place de cancre européen :

 « Nous étions en 2010 à l'avant-dernière place, juste devant l'Espagne, pour ce qui concerne la part de la fiscalité environnementale dans le produit intérieur brut (PIB) ; soit 1,86 % pour une moyenne de l'Union européenne à 2,37 %. Nous allons  faire converger notre pays vers la moyenne européenne », avait expliqué le Premier ministre Jean-Marc Ayrault.

Revirement et contradictions

Dont acte : le 18 décembre dernier, un Comité pour la fiscalité écologique, composé de représentants d'entreprises, d'élus, de syndicats et d'associations était mis en place. Une structure permanente chargée d'émettre des avis sur les implications énergétiques et environnementales du système fiscal et de formuler des propositions. Il devait notamment trouver des recettes nouvelles afin de contribuer au financement des 20 milliards d'euros d'allégements fiscaux pour les entreprises liés au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice).

Le 28 mars, le CFE rendait un premier avis, recommandant l'introduction d'une taxe carbone assortie de mesures de compensation pour certains secteurs. Le mois suivant, il préconisait de réduire l'avantage dont bénéficie le gazole par rapport à l'essence : un écart de taxation de 17 centimes par litre, contre 12 en moyenne dans l'Union européenne.

Soit un avantage fiscal de 6,9 milliards d'euros en 2011, qui pousse à la consommation d'un carburant plus émissif en CO que l'essence et qui a, de plus, des effets néfastes en termes de santé publique en raison des rejets de particules fines.  Prévisible, la levée de boucliers du lobby automobile a ramolli les intentions du gouvernement :

« Il n'y a pas de taxe écologique prévue en 2014 », avait ainsi déclaré le 17 avril Jean-Marc Ayrault. Aussitôt démenti par son ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, devant les députés :

« Je puis au contraire vous indiquer qu'il y aura des mesures de fiscalité écologique dans le projet de loi de finances pour 2014.

Tandis que le ministre du Budget, Bernard Cazeneuve, soutenait de son côté quelques semaines plus tard :

« Notre souci de ne pas augmenter la pression fiscale dans l'année qui vient et de ne pas obérer le pouvoir d'achat des ménages ne nous conduira pas à prendre cette décision en 2014, mais nous laissons la question ouverte pour la suite ».

Des propositions astucieuses

Ce sont ces contradictions que le CFE a tenté de concilier dans la proposition présentée par son président le 13 juin dernier. D'abord, pour éviter de retomber sous le coup d'une censure du Conseil constitutionnel, l'idée n'est pas de créer une nouvelle taxe, mais de renforcer celles qui s'appliquent déjà sur le pétrole (TICPE), le gaz naturel (TICGN) ou le char- bon (TICC).

Pour la TICPE, la hausse serait différenciée selon qu'elle porte sur le diesel ou l'essence, de manière à réduire progressivement l'écart de taxation. Une proposition « astucieuse », juge Matthieu Orphelin, porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot et rapporteur du groupe de travail sur le financement de la transition énergétique, puisqu'elle fait d'une pierre deux coups :

« Elle traite, à travers un mécanisme déjà existant, deux sujets qui fâchent : la taxe carbone et la fiscalité sur le gazole. »

Autre astuce pour faire adopter sans délai un dispositif qui devrait permettre de durcir la contrainte carbone d'année en année : la hausse de la fiscalité globale serait quasiment nulle en 2014 pour monter en puissance à partir de 2015. Last but not least, le rendement attendu, 1 milliard d'euros en 2015, 5 milliards en 2020, serait redistribué en totalité, d'une part, aux entreprises (principalement via le Cice) et, de l'autre, aux ménages modestes, sous forme de crédits d'impôt et d'une aide au remplacement des vieux véhicules.   L'objectif principal n'est pas en effet d'accroître les rentrées fiscales, mais de faire évoluer les comportements.

Des ambitions trop modestes

Même si elle laisse de côté des sujets clés comme la fiscalité sur l'électricité d'origine non renouvelable (pour inciter aux économies), le foncier (pour limiter l'étalement urbain) ou des niches fiscales comme l'absence de taxe sur le carburant aérien, cette proposition est séduisante. Elle reste cependant limitée dans ses ambitions : une hausse de 2,6 centimes par litre d'essence et de 9,8 centimes pour le gazole étalée sur sept ans. Cela correspond à une taxe de 7 euros la tonne de CO l'an prochain et de 20 euros en 2020.

« Le niveau de départ représente la moitié de ce qu'avait proposé Nicolas Sarkozy en 2009 pour la taxe carbone, qui était déjà la moitié de ce que préconisait la commission Rocard, critique Yannick Jadot, député Vert européen et membre du CFE. Mais le problème est surtout celui de la trajectoire.

Pour faire évoluer les industriels et les consommateurs, il faudrait viser non 20 euros, mais au moins 50 euros la tonne en 2020, comme l'avait par exemple préconisé le rapport Quinet. Quant à l'évolution de la fiscalité sur le gazole, elle est beaucoup trop lente et insuffisante pour inciter à changer de motorisation. Il subsistera encore un écart de 10 centimes par litre en 2020 par rapport à l'essence. »

Matthieu Orphelin juge en outre la redistribution des recettes beaucoup trop favorable aux entreprises par rapport aux ménages (voir graphique). Il se félicite cependant que la proposition présentée par Christian de Perthuis (et non par le CFE faute d'unanimité sur les chiffres proposés) prévoie une révision annuelle du niveau de la contrainte.  Si l'exécutif adopte le plan du président du CFE, il répondra à la résolution votée le 6 juin par le Parlement demandant « d'inscrire dès la loi de finance pour 2014 les premières mesures d'une véritable fiscalité écologique ne fera alors que commencer ». Ce sera un pas en avant. Mais la bataille pour remplir un verre à moitié vide.

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